mardi 22 juillet 2008

Greg Shaw

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Greg Shaw est un auteur de bande dessinée plutôt atypique. Il est peut-être même celui qui à une recherche de la forme narrative la plus pure. La manière de raconter l'intéresse plus que le dessin ou le récit lui-même... Et c'est dans cette direction qu'il a cherché dans ses premières productions, se servant du minimalisme pour mettre en avant la narration elle-même. En effet, le propos de son oeuvre réside là: un concept narratif à chaque livre. Greg Shaw est un chercheur, il essaie à chaque fois de se renouveller, de changer le rapport à la lecture, il sollicite l'imagination, et rejoint l'art conceptuel contemporain en parlant essentiellement de "l'idée". Son premier livre, parut chez Atrabile et intitulé Parcours Pictural , nous montre tout un tas de pixels de couleurs qui s'articulent, se chevauchent, et se remplacent... Un parcours de couleur qui ne représente rien d'autre que ces couleurs même, mais qui dit déjà tout de l'essence même de la Bande Dessinée: la séquentialité. Le second, Veuve-Poignet (La 5ème couche éd.)a pour sujet la masturbation masculine, mais ne représente que des carrés de couleurs (agencés comme des cases), chacun symbolisant une émotion, un état... Grâce à l'imagination, le lecteur arrive à se représenter une histoire pourtant formellement abstraite. Enfin, Frotte-Motte est une série de strips parus dans le collectif 40075Km comics , qui parle de masturbation feminime cette fois-ci, et de façon bien plus explicite, n'étant plus du tout dans l'abstraction, mais restant bel et bien dans la représentation et dans la narration minimaliste.

J'ai eu la chance de pouvoir interviewer Greg Shaw pour le Blog Minime:

SydN - Tout d'abord Bonjour! Tiens, d'ailleurs, comment pourrait-on dire bonjour en minimaliste?

Greg Shaw - 'jour !

SydN - Bien. Commençons fort : Saurais-tu donner une définition du minimalisme et de son application en Bande Dessinée ?

Greg Shaw - Pour moi le minimalisme c'est une tendance qui consiste à aller vers l'essentiel, vers la limite du compréhensible, une sorte d'épuration.
Donc je dirai qu'une bd minimaliste exprime un maximum de choses avec un minimum de moyens.

SydN - Te considères tu comme auteur minimaliste?

Greg Shaw - Au début je me considérais comme auteur abstrait, puis vint Veuve Poignet, qui est plutôt une bd à légende et puis Frotte-Motte qui est carrément figuratif. Du coup je me considère comme auteur conceptuel (avec beaucoup de modestie bien sûr).

SydN - Qu'est-ce qui t'attire en Bande Dessinée, et dans le minimalisme tout particulièrement?

Greg Shaw - Actuellement, ce qui m'attire le plus en bd, ce sont les nombres de pistes qu'il reste encore à explorer. Bon, ce n'est pas pour cette raison précise que j'en fais. Je lisais beaucoup Lucky Luke et Astérix quand j'étais enfant, et c'est en découvrant la Rubrique-à-Brac de Gotlib que j'ai voulu en faire. Aujourd'hui je suis loin de ces univers-là.
Ce que j'aime dans le minimalisme c'est justement le paradoxe entre les moyens du bord et la richesse du résultat. C'est dingue tout ce qu'on peut exprimer avec si peu de choses, les silhouettes d'Ibn Al Rabin sont tellement plus expressives que les personnages de bd hyperréalistes, Scott McCloud explique tout ça bien mieux que moi. (
NdSydN: Dans l'art invisible Scott McCloud explique qu'au plus la représentation tend vers la simplification, au plus l'imagination du lecteur va travailler, ainsi il va inconsciemment donner ses propres interprétations des émotions et attitudes des personnages, il y aura une plus grande identification...)

SydN - Mais, pour reprendre un bon cliché qui a la vie dure, le minimalisme ne serait-ce pas un moyen de faire de la BD pour ceux qui ne savent pas dessiner ?

Greg Shaw - Y a un peu de ça, oui, mais ce n'est pas grave, la publication de bd n'est pas un concours de dessin, pourquoi un dessinateur médiocre n'aurait-il pas le droit de faire de la bd, s'il a quelque chose d'intéressant à exprimer ?
D'ailleurs je pense que c'est un atout de ne pas savoir dessiner quand on fait de la bd. Ca nous oblige à construire une oeuvre singulière, à trouver des astuces, à réinventer la bd en quelque sorte.
Si j'avais été un excellent dessinateur, peut-être bien que je ne me serais jamais intéressé a la narration et ses structures formelles. Je suis bien content d'être un dessinateur médiocre !

SydN - Pour toi, le minimalisme est-il un but ou un outil ?

Greg Shaw - Ce qui m'intéresse le plus dans mon travail, c'est la façon de raconter. Le dessin et l'histoire sont au service du concept. Puisque le minimalisme est le style du dessin, on peut dire que c'est un outil.

SydN - Le minimalisme n'est pas "que" un style de dessin, il peut être aussi narratif... Avec l'itération iconique par exemple, qui consiste à répéter x fois la même case... Mais on est d'accord: la narration est aussi un outil, puisqu'elle sert le propos. Finalement, cette définition du minimalisme rejoint celle des artistes contemporains de la fin des années 60 où l'économie de moyen était destinée a ne montrer l'oeuvre que pour ce qu'elle est... Car c'était ça leur propos: la question de la représentation de l'oeuvre. Mais même si en bande dessinée le propos peut être différent du leur, on peut quand même utiliser l'outil "minimalisme" tant qu'il sert le propos, qu'il lui est indispensable, voire indissociable...

Greg Shaw - Oui, c’est vrai, c’est donc bel et bien un outil, et je ne suis pas sûr de continuer à utiliser cet outil pour mes projets à venir (pas la peine de m’en demander plus, je ne dirai rien !).

SydN - Xavier Löwenthal est-il aussi sexy de Daniel Pellegrino ?

Greg Shaw - Le problème avec Xavier Löwenthal, c'est qu'il pue la clope…
Mais tu oublies William Henne et Benoît Chevalier, aussi importants que Xavier et Daniel (et très sexy aussi, mais je préfère quand même les femmes !)

SydN - Parlons maintenant de ton travail. On peut dire que dans tes oeuvres, surtout Parcours Pictural, il n'y a pas vraiment d'histoire à proprement parler, pourtant à chaque fois tu racontes quelque chose...

Greg Shaw - Bah, il y a quand même une petite histoire. Ça commence avec le noir qui découvre petit à petit qu'il n'est pas seul, il y a du mauve aussi, et puis même du jaune, qui finit par prendre le dessus. Tout un programme ça (et il n'y a aucune métaphore ethnique là-dedans !).
Quand on me demande quel est le sujet de Parcours Pictural, je dis que ça parle de bande dessinée abstraite, bon, les gens n'en sont pas moins égarés, mais moi ça m'aide à me débarrasser d'une question chiante.

SydN - Oui... Tu racontes quelque chose! Après, parler d'histoire... Je ne sais pas, c'est un peu comme pour tout, ça dépend des points de vue, des limites que l'on donne aux choses... C'est pour ça que critiquer (dans le sens noble du terme) est difficile... D'ailleurs comment considères-tu la critique? Es-tu toi même critique, auto-critique?

Greg Shaw - Je pense être assez ouvert à la critique, les arguments des lecteurs moins convaincus m’éclairent souvent et me font un peu sortir de ma bulle. Je suis moi même très critique, aussi bien en tant que lecteur qu’en tant qu’auteur.

SydN - Dans Veuve Poignet tu utilises la couleur comme indicateur d'émotion. Le rendu étant très abstrait, le lecteur est obligé de se référer à un index explicatif pour connaitre les émotions qui correspondent aux couleurs utilisées dans chaque "histoire". Pourquoi utiliser cette méthode, un peu laborieuse pour le lecteur, plutôt qu'une codification iconique des actions?

Greg Shaw - D'abord, mes « histoires » sont plutôt des « strips en 85 cases », si on considère que chaque couleur est une case.
Alors, la codification iconique, j'y avais pensé aussi, mais ça me paraissait trop « dans le coup », donc pas assez personnelle, beaucoup de graphistes jouent avec ça. J'ai donc opté pour quelque chose de plus « pur », et puis c'est plus beau comme ça aussi, je trouve.


Veuve Poignet (© La 5ème couche)


SydN - Comment as-tu procédé pour avoir ce rendu visuel dans parcours pictural?

Greg Shaw - Ce sont des filtres de PhotoShop©. Non, ce n'est pas fait a la main, comme l'ont pensé certaines personnes (sont parfois très drôles les gens). Ma première idée était de le faire à l'acrylique sur papier-toile. Chaque chapitre dans un style de peinture différent, c'est à dire le premier chemin en impressionniste, le deuxième en pointilliste, le troisième en fauve et le quatrième en cubiste. Puisque chaque style est l'aboutissement du précédent, il s'agissait bien d'un parcours pictural, et puis les pionniers de l'art abstrait ont tous suivi ce parcours. En numérisant mes planches, je me suis vite rendu compte que la matière est tout sauf graphique. Et vu que le but était d'en faire une bd (graphique par définition), j'ai décidé de le faire à l'ordi, avec de la trame et des pixels. L'idée de l'évolution picturale est toujours là : les petits points désordonnés s'organisent et grandissent au fur et a mesure, jusqu'au point ou ils deviennent des carrés bien alignés.


Parcours Pictural ( © Atrabile)

SydN - Puisqu'il n'y a pas représentation, peut-on parler de dessin dans Veuve Poignet et Parcours Pictural ? Et s'il n'y a pas dessin, peut-on parler de Bande Dessinée?

Greg Shaw - « Représentation figurative » tu veux dire ?

SydN - Oui !

Greg Shaw - C'est vrai qu'on peut plutôt parler de formes et de couleurs que de dessin. Pourtant il y a quand même du dessin, j'ai dessiné tous les bords de cases au feutre (ils ne sont même pas droits en plus, quel bras-cassé je fais).

Et puis dès l'instant qu'il y a des images juxtaposées formant une séquence, on peut parler de bande dessinée.

SydN - C'est donc bel et bien qu'il y a un réel défaut dans cette appellation "bande dessinée", puisqu'elle connote des choses (le dessin, et même la "bande") qui finalement ne sont pas essentiel a cet art.

Greg Shaw - Oui, mais je ne vais quand même pas me permettre de rebaptiser le 9e art, pas tout de suite en tout cas.

SydN - Parcours pictural est émotionnellement neutre, mais Veuve poignet et Frotte motte sont plein d'humour, tu n'as pas peur que cet humour détourne le propos artistique ?

Greg Shaw - Oui, ça me désole que les gens attachent une plus grande importance au thème qu'a la démarche, mais, en même temps ça m'arrange. D'abord, ça parle plus au grand public, qui ne se serait peut-être jamais intéressé a ce genre de bouquin, et puis, je pense souvent à François Truffaut qui disait en gros qu'une œuvre expérimentale n'est réussie que quand on a oublié qu'elle était expérimentale. Vu sous cet angle, j'ai réussi mon coup alors…

SydN - Veuve Poignet, Frotte-Motte et la Nouvelle Pornographie (de Lewis Trondheim) traitent tous du sexe (la masturbation pour l'un, des sex-toys pour le second et la pornographie pour le troisième). En quoi est-ce si intéressant de parler de sexe dans une BD minimaliste?

Greg Shaw - Et puis il y a aussi « P+O » de Richard McGuire qui propose une série de dessins minimalistes stylisés, presque abstrait, de Popeye et Olive en plein Kama-sutra. Il m'amuse beaucoup ce petit livre.
Non, c'est un hasard. Je ne me souviens plus exactement comment m'est venu l'idée de Veuve Poignet. C'était sans doute le thème le plus approprié pour illustrer ce concept. J'aurai aussi pu faire la religieuse qui tombe dans les escaliers, avec des cases noire/blanc/noire/blanc/noire/blanc…, comme la fameuse blague de Woody Allen.
Frotte-Motte est la version féminine de Veuve Poignet, que tout le monde me réclamait. En tout cas, c'est toujours : Non !, Xavier (
NdSydN: Lowenthal, créateur des éditions La 5ème couche), je n'en ferai pas une bd entière !
Pour « La nouvelle pornographie », il faudra poser la question à Maître Lewis. En tout cas ça m'a bien fait chier qu'il sorte cette bd quelques semaines avant la sortie de Veuve Poignet, qui devait déjà être sorti bien avant, et qui était annoncée depuis des mois sur le site de la 5e Couche. En plus, sa bd « Bleu » est sortie pendant que je réalisais Parcours Pictural, que je pensais être la première bd abstraite. Il m'a doublé deux fois à son insu ce s@*#%!!


Frotte-motte (in 40075Km comics, © L'employé du mois)


SydN - Chacune de tes oeuvres nécessite un investissement intellectuel de la part du lecteur: Dans un premier temps, on ne peux pas se laisser porter par ta narration, il faut que le lecteur utilise son imagination plus qu'a l'accoutumée, qu'il sorte de ses tics de lecture, et surtout qu'il réfléchisse un minimum pour comprendre comment "fonctionne" l'oeuvre, bien que ça ne soit jamais bien compliqué... Tu n'aimes pas les lecteurs feignants?

Greg Shaw - « Investissement intellectuel » me paraît bien démesuré, pour moi c'est très simple. Je ne pense pas que les lecteurs sceptiques soient feignants, il faut beaucoup plus de courage pour s'attaquer a un Blake & Mortimer, non ? J'ai plus de mal avec les lecteurs qui exigent un certain nombre de choses (p.ex. texte, personnages, situations) pour considérer qu'il s'agit d'une bande dessinée. Disons que je n'aime pas les lecteurs fermés.

SydN - Et bien merci beaucoup Greg Shaw d'avoir bien voulu te soumettre a l'exercice de l'interview, je sais que ça prend pas mal de temps, et que c'est parfois laborieux (certaines questions ne sont pas faciles!)... Je suis très heureux de pouvoir présenter ton travail et ton approche, car ça mérite qu'on s'y penche de plus prêt quand on aime la Bande Dessinée, minimaliste ou pas!

Greg Shaw - C'est moi qui te remercie, SydN, c'est pas tous les jours qu'on me pose des questions sensées à propos de mon travail.



Interview réalisée par mail, entre le 17 et le 21 juillet 2008



A l'occasion de cette interview, Greg Shaw nous offre quelques inédits de Frotte-motte, un poil plus polémiques que les autres (le 07 et le 08):


Frotte-motte 01

Frotte-motte 07

Frotte-motte 08


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